27 janvier 2011

Trébucher

Elle portait des escarpins rouge-pompier, ma sirène du fond du bar. Le fard sous ses yeux poudrés absorbait la lumière comme un océan opaque. J'ai voulu lui prendre la main et me suis incliné au contact du bloc de marbre, un frisson dans les doigts. Il n'y avait ni excuse ni échappatoire, encore moins de mots à prononcer ; ils se seraient perdus dans le bruit de toute façon. Au milieu de cette faune, esclave de la fureur, mon esprit a rejoué le film de mes souvenirs les plus paisibles, mais je ne parvenais pas à rester sur une seule image à la fois - les flashs se succédaient aussi violemment que les rythmes machinaux de l'enfer gris. Je ne parvenais pas à clarifier ma pensée, à focaliser l'attention sur une idée comme on me l'avait appris pour rester de longues minutes sous l'eau avec une seule respiration. Elle avalait la lumière et ma raison. Je ressentais dans ma chair la conviction philosophique forgée au long des ans : nous ne sommes que des animaux cherchant à satisfaire nos pulsions sans être punis en retour. 

Mon attirance pour la sirène ne devenait noble que par une justification logique fumeuse, une post-rationnalisation de mon instinct bestial. Inventé, le "coup de coeur". Fantasmée, la montée en flèche du rythme cardiaque. Narcisse venait de repérer un trophée qui gonflerait son ego. Sade voyait un esprit à pervertir et un corps à forniquer jusqu'à une hypothétique satiété du plaisir. Tout n'était que jeux de puissance et conservation de l'espèce. Le système nerveux n'existe que pour permettre au reste du corps de survivre. Nul autre but qu'éviter la destruction de l'organisme.

Ceci présentait toutefois un avantage : dès que l'on cesse de se demander "pourquoi", questionnement inutile et sans réponse possible, on peut s'intéresser au "comment", dont la satisfaction ne dépend que de nos envies et ne connaît nulle limite.