27 juillet 2006

PIERRE

Je me vois bien comme Pierre, traînant ma grande carcasse dans l’agence, pouvant compter sur mes lourdes chaussures italiennes (la qualité du cuir) pour faire un maximum de bruit sur la moquette usée. La plupart du temps, j’en foutrais pas une ramée ; parfois, je donnerai un coup de main sur un dossier. J’aurais des horaires aléatoires, je prendrais des pauses déjeuner interminables, je ferais la gueule à tout le monde sauf au petit stagiaire qui me regarde avec admiration parce qu’il aimerait être à ma place. Malgré ça, les gens sauraient deviner inexplicablement que je suis un type bien.

La journée passerait assez vite dans l’ensemble, de pauses clopes en expédition au sous-sol pour discuter avec les pigistes (un bon directeur doit avoir des relations de franche camaraderie avec les petits employés, mais uniquement ceux qui ne dépendent pas directement de lui, ne serait-ce parce qu’ils sont moins chiants que les cadres d’opérette). Assez régulièrement, j’irais prendre un verre d’eau ; et le temps de le boire, il y aurait déjà 10 bonnes minutes de passées.

Lorsque je m’ennuierais vraiment trop, je me rendrais dans les bureaux de mes subalternes angoissés. Je passerais la porte en imposant ma présence avec un sourire charmeur mais ferme. Je leur mettrais la pression en les rassurant sur mon appréciation de leur bon boulot (un directeur doit savoir engueuler puis rassurer ses ouailles comme une mère avec ses enfants ; d’autant plus si c’est un homme).

Je ne porterais que des t-shirts et des jeans au-dessus de mes pompes à 1000 euros. Lors de mes rendez-vous clients, si rares soient-ils, je serais ainsi ravi de pouvoir ressortir ce costume sur-mesure acheté le mois d’avant (un bon directeur a la classe, mais il ne rabaisse pas ses employés en les éblouissant tous les jours).

Quand je serais grand, je serais Pierre (un bon directeur n’en fout pas une mais c’est parce qu’il est très fort ; et seul les très grands peuvent reconnaître ce genre de talent).