28 juin 2006

Too much Bret

- Avec combien de garçons tu as couché ?
- Euh…
- Tu as réfléchi, c’est mauvais signe.
- Quoi ?
- Je dis : c’est mauvais signe.
- Comment ça ?
- Comment ça ? Et bien il se trouve que je cherche une fille qui ait eu un nombre de partenaires défini. Si tu réfléchis, c’est que tu as couché avec trop de garçons sans importance, et ça ne me plaît pas.
- Non, pas tant que ça.
- Bien sûr. Ça doit être pour ça que tu ne peux pas me répondre sans compter sur tes doigts.
- T’es vraiment un salaud.
- Oh, tu sais, j’essaie simplement de me mettre au niveau de mes interlocuteurs.
- Très drôle.
- Non, pas vraiment. Si tu crois que ça m’amuse de savoir que la moitié de la ville t’est passé dessus.
- Ce n’est pas le cas.
- Ça revient un peu au même pour moi.
- C’est que tu es malade.
- Probablement ; cela dit, pour te comporter comme tu l’as fait, c’est apparemment une caractéristique que l’on a en commun.

Toutes mes conversations finissent par un « va te faire foutre, Hugo » en ce moment. Je ne pense pas le chercher pourtant. A croire que se conformer à ses valeurs fait de soi une espèce de monstre. On me demande de ne pas juger en même temps qu’on m’expose un point de vue dégueulasse. Un bien vilain mot, mais qui figure dans le dictionnaire. C’est qu’il doit être indispensable pour définir certaines personnes.

22 juin 2006

Flashing Lights (by Phil)

parfois il disparaît... et revient...
normal
on clignote tous
ce qui est moins drôle, c'est quand ça s'arrête
une étoile de moins dans le ciel...
...tout le monde s'en fout,
personne les compte...

21 juin 2006

"Here Comes The Sun King"

« À toi vont les mots les plus beaux »

Je t’élirai reine de beauté, mais mon amour n’a rien de démocratique. Bien plus intransigeante est sa portée. Je veux réparer les blessures dans nos cœurs jumelés. Essuyer sur tes joues les larmes du passé, effacer tes tendresses déçues. Je m’assieds et le soleil avec moi. Ensemble, nous parlons de toi. Il me raconte ta naissance, sa joie d’avoir été là. Il me dit que ton pays est l’un de ses préférés, qu’il n’aurait pas pu te manquer. Devenu un peu rouge, il me parle de ton visage ; de la façon dont il brille pour que tu sois encore plus jolie. L’astre s’embrase et transforme le ciel tandis qu’il m’explique comment il prolongeait son séjour chez toi de quelques minutes certains soirs, juste pour pouvoir t’observer encore un peu. Tes journées à courir ton immense univers de petite fille, cette sueur naissante sur le front. Les épopées incroyables sur des chevaux si fiers de te porter. La tête qui sillonne la forêt, les épaules moites de chaleur tropicale. Ton sourire. Il m’explique ses larmes lors de ton départ pour cet autre endroit. Comment il a refusé de se montrer pendant des jours entiers, sans que personne ne comprenne pourquoi. Ses soupirs de dépit créaient tous les nuages qu’il fallait pour le dissimuler. Puis les gens se sont vraiment inquiétés, alors il s’est montré à nouveau. Bientôt, il t’avait retrouvé dans ta nouvelle maison. Jamais le Sud n’avait autant brillé : la sécheresse a pointé le bout de son nez. Peu importe, le soleil ne pouvait pas se passer de toi. Chaque jour l’aurore s’avançait, chaque soir le crépuscule s’attardait.

Enfin l’heure vint pour lui de disparaître. Ses rayons allaient caresser d’autres visages ailleurs : le soleil n’est pas fidèle stricto sensu, juste sincère. Luxe que lui seul peut se permettre, même si tant d’autres croient pouvoir l’imiter.

Quelques pas le long de la corniche pour une dernière inspiration, et je rentre chez moi. Arrivé devant l’immeuble imposant, je compose le code d’entrée. Une fois dans l’ascenseur, je me souviens avoir laissé mes clubs sur le toit. Je me glisse donc dans la lucarne du dernier étage pour grimper là-haut. Après ma période d’arrêt habituelle devant le spectacle saisissant, je prends mon fer numéro 7 et une poignée de balles en mousse. Je vise la mer, tant pis si elle est trop loin. Il me semble voir toutes les balles disparaître en elle. Et là-bas, sur la colline, je peux presque distinguer ton visage, comme dans une publicité. Je visualise ton image superposée sur les arbres millénaires, ton portrait s’affiche en 400 par 300. Soudain, c’en est trop, le ciel s’arrange pour devenir orange, Belle & Sebastian chante un texte hallucinant sur un renard dans la neige. Je me demande s’ils prennent de la drogue ou si j’écoute de la poésie, tout simplement. Sans doute un peu des deux. J’ai appris tout ce que je sais par la musique ou la littérature. Je suis une sorte d’usurpateur de sentiments. Je me demande parfois quelle part de moi participe à mes amours, et quelle part de roman il y a.

Quelques gamins poussent la balle sur le terrain de foot en bas. Leurs rires et leurs chamailleries me parviennent dans un accès de bons sentiments. C’est un peu dégoulinant, pourtant j’apprécie toujours le cliché lorsqu’il sait arriver à point. Tout est question de moment.

La phrase de la semaine, par mon ami Phil

"Tout chez lui était à sa place, à commencer par le cœur, et il ne le savait pas."

Une fin sans sel

Lorsqu’une voix rauque donne envie de tout savoir d’une personne, que les notes s’accordent aux aléas de la pensée. Dans un moment suspendu, j’aspire l’air frais et humide. Je goûte les notes acres de la pluie récente, une chanson de Cat Power dans les écouteurs. Mes pas sont lents et légers, comme cette nuit qui s’avance. Je jette un œil à ma montre, pas d’affolement. Je croise les gens sans les voir, perdu dans la contemplation des mélodies souveraines de Chan Marshall. Enveloppé dans le son, je suis frappé par des évidences variées. Plus tôt, j’ai reçu un message de Claire me disant de ne pas l’attendre ce soir. Elle ne rentrerait pas, ni ce soir, ni les autres. Je pouvais comprendre qu’il n’y ait nul besoin d’expliquer : l’amour s’évanouit, c’est ainsi.

Alors j’ai traîné ma frimousse déconfite dehors. La nuit tombante, une éventuelle fête à quelques pas de chez moi, ingrédients suffisants pour surnager au milieu du cauchemar.

En arrivant dans l’appartement quasi désert, j’ai surpris une curieuse cérémonie sur le balcon. Un jeune homme en sous-pull noir portait un toast. Autour de lui, tels des apôtres, cinq personnes, garçons et filles. Il a levé son verre « au bonheur des amours disparues ». Et là, au milieu de cette fête morne, tandis que les lumières oranges des tubes d’acier éclairaient les yeux des filles et les dents des garçons souriants, j’ai vu un frère. Sublime enfant assoiffé d’absolu, sage centenaire détaché des passions. De son verre brillaient les reflets du vin aux bulles profanes. De ses yeux brillaient les idées épurées d’un prince de l’esthétisme.

Pari sur rien (mise en Seine)

L’avantage avec les villes polluées, c’est que personne ne se risque à étendre son linge au balcon. Ça permet d’éviter un aspect négligé des plus regrettables. Les journées taillent leur chemin au burin. C’est douloureux et tout sauf insouciant. Les heures ne coulent pas, elles avancent péniblement, comme un brise-glace sur des minutes gelées. A Paris, les avenues donnent l’impression d’être praticables, ce qui explique mes courbatures et ma démarche claudicante. Je passe mes journées à me frayer des passages entre des milliers de pantins pressés. Conséquence logique : je marche encore plus vite qu’eux pour avoir une raison apparente d’être ici.

Un rien angoissé par l’absence cruelle de justification de ma présence ici, je crains à tout moment d’être démasqué par les actifs fictifs. Moi je suis un vrai actif : la vie ne me passe pas devant sans laisser d’impressions. Je parle du sens littéral, naturellement ; les détails insignifiants me marquent et m’habitent pendant des nuits entières. Tel visage enfoui au creux d’une épaule, telle fleur accrochée au rebord d’un immeuble en rénovation. Perdu dans les temporalités vacantes d’une réflexion fertile fonctionnant aussi efficacement qu’on opérateur booléen, je n’envisage plus de retour. Cet espace clos m’a happé, refermant ses portes symboliques sur mon cœur vagabond. A mon corps défendant…

« Ne te fais pas d’illusions, elles ne se réaliseront pas ! ». Avachi contre le mur d’une grande enseigne, un corps sénile m’assène cette acerbe révélation. Je tente un instant d’éclaircir le mystère de l’apparition morbide, avant de réaliser que cet homme et moi ne sommes pas si éloignés finalement ; ou seulement de quelques années. Nous sommes séparés par une poignée de choix déterminants, par des décisions aussi dérisoires que définitives, qui nous engage sans prévenir.