31 mai 2007

Electric Relaxation

A Tribe Called Quest à son niveau habituel : le top.
THIS is rap! Enjoy

24 mai 2007

Dizzy Daisy Nepsy

Daisy Nepsy fixe l’objectif, s’imagine dans la chambre noire. L’éclair jaillit de l’appareil et immortalise ce moment historique. Ce soir, Daisy est…

Quelques heures plus tôt, assise sur le marbre de la douche d’un hôtel sans âme, elle fixe le vide. L’eau tombe comme une punition, elle sent les gouttes qui frappent ses épaules et ses seins. Son regard perdu dans le vague fait sauter ses idées comme un compact disque rayé. Elle répète sans cesse les mêmes syllabes. La première sonorité est sèche, écorche ses lèvres. La seconde adoucit sa voix, car c’est également la première syllabe qu’elle ait prononcée. « Ma… ». Elle gît dans cette douche brûlante depuis aussi longtemps qu’elle puisse se souvenir. Tout le monde semblait l’aimer avant qu’elle n’entre dans cette salle de bain. Le monde tournait enfin autour d’elle, pour une fois. Mais qu’importe le monde s’il n’est pas là.

Ses mains dessinent sur la buée du miroir. Machinalement, les doigts fins commencent l’esquisse d’une croix. Initiale d’un prénom qui a le pouvoir de la clouer au sol, sous l’eau brûlante, pendant des minutes insaisissables. Autour d’elle, on ne s’inquiète pas. Deux jeunes filles papillonnent devant la glace, fouillent dans des trousses de maquillages étalées sur le lavabo. Elles ne parlent plus : tout se joue ce soir.
Pour Daisy, les dés sont lancés depuis longtemps.

Elle ouvre le clapet de son téléphone portable. Aucun appel, aucun message. Malgré les photos, les interviews et les soirées de représentations, il n’a pas appelé. En revanche, des Thibault Benoît Pierre Alexis Maxime Michaël à la pelle. Tous sauf un. Etre promise à une gloire aussi éphémère que les pages glacées des magazines ne console pas mademoiselle.

Tomber amoureuse de lui…c’était comme…respirer pour la première fois…

- Daisy, tu me prêtes ton sèche-cheveux ? Le mien m’a lâché !
- Tu devrais commencer à te préparer Daisy !

Alors, de la même façon qu’elle se démaquille en rentrant d’une soirée, aussi mécaniquement, Daisy obéit et exécute le rituel. Etaler la fondation, faire pénétrer uniformément. Répartir le fond de teint, surveiller les zones brillantes. Blush sur les pommettes. Eye-liner. Mascara. Gloss. Pendant quelques instants, elle oublie la personne derrière le masque de poupée. Des secondes suspendues durant lesquelles elle pourrait être une de ces filles. N’importe laquelle. Une de celles qui ne tombent pas. Une de celles qui se contentent des cours d’admirateurs. Une de celles qui savent se refuser pour mieux dominer.

Elle avait pourtant été l’une d’entre elles. Mais une erreur entraîne toutes les autres, n’est-ce pas ? Si elle avait su…Elle n’aurait pas suivi ce premier garçon aux yeux vifs, près de la rivière. N’aurait pas écouté ses mots récités à tant d’autres avant elle. N’aurait pas laissé son cœur en vitrine comme un trophée convoité par des cambrioleurs peu gentlemen. L’effet domino l’avait fait rebondir depuis cette faute originelle jusqu’à lui. Les mots flottent autour d’elle, coulent dans ses oreilles, s’insinuent en elle, car on ne peut jamais arrêter l’eau. Elle traverse les couches de roche jusqu’aux grottes enfouies au plus profond de la terre. Les mots ont un effet chamanique sur elle, ils la mettent en transe, l’hypnotisent ; puis, lorsque les regards ont achevé de la paralyser, elle les laisse faire ce qu’ils savent faire. Elle les trouve pourtant tous différents, ces garçons-bruns-plus-âgés-aux-yeux-noirs-légèrement-plus-grands-qu’elle. Son trouble se répète avec la prévisibilité d’une formule mathématique. C’est implacable, inexorable, puisqu’elle s’entête à chaque parfum, à chaque peau, à chaque fois elle voit « le bon ». Elle les attire comme une lampe des moustiques. Malgré cela, après quelques tours d’ampoule, les insectes s’en vont, désenvoûtés. Sa lumière attire mais n’accroche pas. Ses yeux ne sont faits que pour les cellules photosensibles des appareils argentiques. La pellicule capture son essence et lui rend son éclat, alors que les garçons qu’elle aime sont des trous noirs d’où ne ressort aucune particule après avoir été absorbée.

Sa robe la gratte. Une étiquette, sans doute. Les filles s’impatientent, trépignent. Daisy devine des regards envieux de son calme qui n’est que désespoir. Les défilés ont commencé, les épreuves se succèdent. Elle écoute son nom, répond aux appels, mais il ne reste plus qu’un automate de chair et d’os. Il n’y a plus d’abonné au numéro que vous avez demandé.

Elle se réveillait parfois au milieu de la nuit. L’angoisse qu’il soit parti. Mais il était là, paisible et innocent. Elle restait éveillée pour le regarder dormir, se retenait de caresser son visage pour ne pas perturber ses traits détendus.
« Où es-tu ? Penses-tu à moi ? »
Ces questions revenaient désormais comme un boomerang aux tranches incrustées de lames de rasoirs étincelantes. Daisy tend la main et celle-ci part en lambeaux, déchiquetée par les souvenirs.

Elle se demande s’il sera là, dans la salle. Tapi dans l’ombre, au dernier rang, attendant son sacre pour se déclarer et la sauver. Lui aussi avait beaucoup promis. Elle avait basculé parce qu’il possédait ses mots ; il ne les empruntait à personne. Lorsqu’il racontait son regard, son cou, ses poignets délicats, elle entendait enfin ce dont parlaient les photographes en regardant ses clichés. Avant lui, elle n’avait jamais vraiment compris ce qu’on lui trouvait. Comme tant de jolies filles, elle n’avait jamais cru en sa beauté, ce qui la rendait évidemment plus magnétique et désirable.

Il lui expliquait les notes, les accords. En l’écoutant, les mélodies prenaient des tournures incroyables, comme une porte entrouverte sur le jour qu’on ouvre brusquement. Inondée de lumière par sa seule présence, il éclairait le monde autour d’eux. Dans ses pas, guitares, tableaux, toiles et sculptures tourbillonnaient, aspirés par son aura.
Cette innocence montre ce soir ses limites, à quelques minutes de la finale, entourée des autres élues. Elle ne voit aucune couleur, n’entend aucune voix, ne ressent aucune anxiété. Un homme la rendait présente au monde, et cet homme n’est pas là.

Elle voudrait dire ces mots qui l’étouffent. Sa gorge sèche semble remplie de branches mortes. Elle voudrait laisser le sang s’échapper de ses plaies ouvertes. Pour que l’hémorragie tarisse. Elle voudrait expurger la bile noire qui englue ses artères. Vomir ce prénom stupide, ce prénom d’enfant de chœur. Planter ses ongles dans son visage angélique, celui qui hante ses nuits. Lui griffer une cicatrice, une balafre, qui colle à lui autant qu’elle s’englue dans les souvenirs.

A la tombée du jour, quand le ciel se couvre de vanille, ils allaient aux mêmes terrasses ombragées. Quelques secondes de pluie mouillaient parfois la terre des parcs et jardins publics, exhalant dans l’air une odeur d’herbe fraîche, d’orage d’été. Elle le regardait en essayant de ne pas se faire remarquer. Des semaines entières passèrent ainsi, ses jupes devenant plus courtes, ses décolletés plus échancrés. La météo la couvrait : l’arrivée de l’été l’autorisait à dévoiler progressivement sa peau sans qu’il ne la prenne pour une fille facile. Un jour, alors qu’elle avait abandonné l’espoir de rencontrer ce garçon qui s’asseyait à dix mètres d’elle tous les soirs, un jour, une connaissance de Daisy est venue dans ce café où elle ne se rendait que rarement. La connaissance a reconnu l’inconnu, lui a fait signe, il est venu. Il a pris la chaise à son côté, et elle a cru devenir rouge tant ses pensées devaient se lire sur son visage. Ce soir-là et beaucoup d’autres après, il n’a regardé qu’elle.

L’animateur s’approche pour annoncer le résultat. Des cris retentissent. Daisy ne pleure pas. Il ne reste plus rien pour ça. Elle se sent comme un coquillage vide abandonné sur une plage. Anéantie. Elle baisse le front pour accepter sa couronne, puis relève la tête. Lorsque le micro se tend vers ses lèvres craquelées par la désertification accélérée de son être, elle prend une grande bouffée d’air. Il lui semble avoir oublier de respirer pendant toute l’émission. Cette fois, c’est à la France de retenir son souffle. On veut savoir à qui elle pense, qui elle souhaite remercier. Après un moment, par habitude, par lassitude, ou par abandon de la dernière parcelle d’amour-propre qui lui reste, elle laisse enfin glisser les syllabes qui pourrissent dans sa gorge depuis des mois : « …Thomas »

Les flashs crépitent, gravent ce sourire de robot qui ira sur les murs de toutes les petites princesses qui rêvent de cette élection. Ce soir, Daisy est la plus belle femme de France.

l'autre temps

Je choisis des morceaux de thon
Rouge comme ta peau au soleil
Mes journées ressemblent à la mer d’ici
Remplies de vagues merveilles

Les lamelles de chair que tu recouvres
D’huile et de parmesan doré
Brillent comme un jour qui s’ouvre
Sur un port abandonné

Entre nous plus de temps
Juste les jeux de nos yeux
Je joue au prince d’Orient
Et tu passes aux aveux

C’était un joli soir de mai
Tu dansais sous le ciel
Les promesses tourbillonnaient
Autour des bleus éternels

22 mai 2007

Mojito


Je ne regarde plus les pages "Voyage"
des hebdomadaires d'information
Ébloui par les voiles blanches qui nagent
A la surface d'abîmes bleues d'attraction

Une fille à mes cotés
Mêle la menthe à la glace pilée
Brûlé par le rhum
J'écorche un bout de citron
Aussi vert que ses yeux
mais beaucoup moins sucré

D'une main assurément hésitante
J'essuie sur sa joue une goutte
de jus du vert citron acidulé
Que mon couteau a fait gicler

Mes lèvres mouillent à présent dans ce port
au nom sud-américain
Ce cocktail est bien trop fort
pour ne pas goûter au sien

17 mai 2007

Rencontre marchande

Elle a dans le regard la fierté teintée de mépris des filles des Balkans ; un sentiment qui transparaît quelle que soit leur occupation : passer des produits devant un faisceau laser ou diriger une équipe de 25 personnes.

Ses yeux gris s'électrisent de stries bleues comme l'eau de quelque port de pêche caché au fin fond de la Croatie. Sa main fine, aux ongles sertis de blanc arrogant, dépose la monnaie dans ma main émue. Sa peau entre en contact avec la mienne et je sens la chaleur de ses doigts tandis qu'elle s'attarde. Ma tête reste baissée sur cette rencontre pudique, trop impressionné pour la regarder dans les yeux. Je n'ose pas, et reste ainsi, interdit, détaillant les veines et les lignes creusées dans cet épiderme délicat.

Puis l'instant de grâce s'écoule et me glisse entre les doigts comme de l'eau fraîche. Je voudrais caresser ses cheveux noirs, plonger dans ses yeux, libérer ma main crispée sur le ticket de caisse pour venir effleurer la naissance de son cou, et aller encore plus loin dans le territoire défendu par son polo blanc au col baillant sagement sur sa poitrine arrogante, pour épouser le contour de ces fruits doux. Je veux voir ses lèvres s'entrouvrir et ses yeux baisser leur garde, mi-clos sous les caresses.

En évaluant mes chances je me souviens qu'aucune fille n'est inaccessible, d'autant plus s'il s'agit d'une jeune caissière de supermarché. Pourtant s'il fut une époque ou les boutiquières pouvait se laisser griser par un vernis de culture et quelques vers impromptus, celle-ci est révolue. Les échecs de l'école républicaine ont laissé des générations de jeunes filles insensibles aux charmes désuets de la courtoisie et de la séduction courtisane. Aujourd'hui, a moins d'une bac+4 blasée et blindée a qui "on ne la fait plus", personne ne comprend plus ces phrases et gestes d'un autre temps. Il vaut mieux agiter les clés du coupé-cabriolet et du loft dans les quartiers chics.

Ces filles ne délaissaient pas seulement la cour des gentilshommes, elles réclamaient de la brutalité verbale, du désintérêt affiché et une "franchise" qui impliquait principalement un abandon des formules romantiques désenchantées. J'avais souvent eu l'occasion de le constater.

13 mai 2007

Mystic Sunday

Le bonheur pourrait être tout simplement : acheter une livre de cerises un dimanche matin. Ou encore : écouter coup sur coup Elisa, Le soleil donne, et Don’t worry be happy. Tout le monde connaît la dernière, mais qui l’écoute réellement ? C’est pourtant une de ces chansons qui fait sourire avec toutes les dents, même en marchant dans la rue avec les gens qui regardent de travers.

Le bonheur, c’est manger un sandwich avec du pain qu’on a été chercher dans la meilleure boulangerie, même s’il a fallu marcher un peu plus. Et avec du jambon de Parme qu’on a ramené soi-même d’Italie. Un morceau de vacances dans l’assiette. Une alliance de l’insouciance, de l’imprévu et de son acceptation permet toutes les folies (comme celle d’être heureux). Une journée ensoleillée n’est pas de trop non plus. Et alors, parfois, on se surprend à cesser de réfléchir, à ne plus s’inquiéter. On parvient même à penser aux femmes sans penser à une en particulier. Ou plutôt : on pense à une fille qui n’existe pas. Une fille pour manger des cerises avec nous, qui nous fasse sourire et que l’on fasse rire. Une fille belle de simplicité, troublante par sa façon involontaire de jouer de son corps et de ses cheveux. Une de ces filles qui se lisent à demi-mot dans tous les romans et toutes les chansons. On en parle à peine, sans trop insister, à la manière de Fitzgerald dans The great Gatsby. Les « Jordan » sont des créatures fugitives, que l’on esquisse de quelques phrases avant qu’elle ne disparaisse, retournant dans l’univers magique où elles dansent jusqu’à l’aube fraîche.

Avoir cette fille ressemblerait au bonheur. Pourtant il est déjà là, dans la solitude calme d’un dimanche de mai, porté par des mélodies lumineuses, des arbres dont l’ombre nous protège, des parcs verts emplis de rires et de silence. Chaque heure libre, chaque moment délivré des interrogations perpétuelles constitue la base d’un état futur, sans doute, peut-être, d’un état d’esprit attendu comme le Messie, une béatitude qui pourrait même faire devenir croyant.

9 mai 2007

absence et écriture

Que les absents aient tort ou raison, là n’est pas la question. Les absents cristallisent l’attention. Le monde est suspendu à leur absence. Au centre de toutes les discussions, leur présence n’est jamais plus vive. Le problème de l’homme provient de son attachement à l’absent, de l’importance qu’il lui donne, sous toutes ses formes : de ce qui n’existe pas jusqu’à ce qui n’est simplement pas là à un moment donné. Nous ne pouvons pas vivre dans l’instant ou accepter ce qui est donné. En partie parce qu’il est plus simple de voir l’herbe plus verte ailleurs, en partie parce qu’il est plus simple de parler de personnes qui ne peuvent pas répondre. Le plaisir de raconter tout et n’importe quoi sur quelqu’un sans risque d’être contredit est grand.

Peut-être est-ce l’un des attraits de l’écriture.

Mais elle n’est pas faite pour n’importe qui. C’est un grand pouvoir. Donc une lourde responsabilité. Beaucoup disent : « écrire ? parfois j’en rêve la nuit ». L’écrivain est plus direct : « écrire ? j’en crève la nuit. »

L’écriture, comme l’amour, se construit dans la douleur. Ecrire revient à foutre des coups de pieds dans le sable en espérant que ça fera un château. C’est de la souffrance, de la passion, de la jubilation, des crises. Moments de silence, d’angoisses, de questions, de libération.

Alors une chose est sûre : ce n’est pas fait pour les « wannabees ». Quelle horreur. Les gens peuvent fantasmer autant qu’ils veulent, l’écrivain génial et branleur n’existe pas. Le branleur, personne ne le connaît, parce qu’il n’a jamais terminé plus de 20 pages, et qu’elles étaient minables.