21 avril 2007

Sebastien Tellier - La dolce vita

Le piège était facile
Tu es tombée dans mes bras

Serge Gainsbourg - La Noyée

Dans la série des grands artistes... SG

Hugo à la plage (extrait du chapitre 10 de "L'attraction des astres")

C’est dans cet état d’esprit curieux que Julien m’a vu débarquer à la plage de la Palmeraie. Ce garçon étant le champion de l’à-propos et des réparties en plusieurs langues, il lui a fallu 2 phrases pour me changer les idées. Nous nous sommes installés sur les matelas mœlleux posés à même le sable, le buste relevé, posé sur nos coudes. Histoire de mater. Ben évidemment, il ne faut pas être hypocrite. Après quelques minutes de mise à niveau mondaine entre lui et moi (qui baise qui, où faut-il sortir en ce moment, comment vont tes parents, etc.), il s’est plongé avec concentration dans la lecture du dernier numéro de Style Inc., un magazine masculin de mode (si, ça existe). Julien se tient au courant de beaucoup de choses, et apporte une attention quasi maniaque à son apparence. C’est aussi pour ça qu’on l’aime : avec une dose réglementaire de folie.

Les oreilles recouvertes de mon casque, j’ai fouillé mon sac à la recherche d’un bout de papier. Le moment semblait parfait pour griffonner quelques brouillons de cartes postales bouffonnes destinées à exaspérer les parisiens coincés dans la grisaille (pléonasme). Mon support était parfait : des vieilles feuilles du boulot. Je n’aime rien tant qu’écrire en dessous de tableaux Excel usagés : cela donne de la valeur à la moindre phrase comportant un sujet et un verbe tant les chiffres à proximité sont insipides.

Je suis heureux, enfin presque. C’est triste de devoir se contenter de ne pas être malheureux : où est-elle la passion, la folie, l’aventure que l’on se promettait enfant, seul dans son lit le soir ? La légèreté et l’inconséquence de la vie étudiante contemporaine commencent à me peser. Je cherche du soleil et j’en trouve sans doute un peu trop souvent. Besoin de reposer mes pupilles fatiguées.

Celle-ci pourrait-elle reposer mes yeux ? C’est le genre de filles qui aiment les mecs bronzés, musclés, avec les cheveux graissés au monoï. Charmant. Elle « mate » le défilé des abdos-minets, ces ados minables, et, entre deux grands sourires de biche écervelée, attend qu’un Brian ou un Kevin vienne la sortir de son ennui de personne vide comme une coquille abandonnée dans le sable. Au moins une bombe que je ne regrette pas et qui se désamorce d’elle-même.

Moi, posé sur mon matelas, je regarde ça de loin. Ça me fait une paire d’yeux en moins à surveiller. Les rayons du soleil lèchent ma peau, le free jazz hip-hop des Roots remue dans mes oreilles, « Datskat ! ». Un vendeur de beignets passe et je remercie le ciel d’avoir pensé à amener ma musique pour me prémunir de ses cris mécaniques. Le pauvre esclave moderne marche, en sueur, un plateau sur le bras. Comme dirait mon père, « c’est toujours mieux que l’usine ». Pas faux.

La journée languit au bord de l’eau d’avril, le rosé va finir par tiédir dans le seau remplit de glaçons fondus. « Malheureux, ce serait un sacrilège ! » me fait remarquer Julien. Nous remplissons donc les verres puis observons, fascinés, la délicate teinte rose translucide qui habite le verre. Je le porte vers le soleil afin de regarder la lumière transperçant la piscine couleur de saphir. Allongés, bercés de notes du groupe qui vient de commencer à jouer des standards pop à la sauce reggae, les lèvres trempées du nectar des dieux, nous sommes au paradis, les maîtres du monde, sur un nuage : bref, la situation est à son optimum au sens de Pareto.

Julien me raconte sa dernière escapade à l’Idylle, l’endroit où il faut être en ce moment, « the place to be » en version originale. Entre deux descriptions futiles de la clientèle sur place, il glisse une observation si pertinente qu’elle frôle les hautes sphères de la compréhension de l’être humain, tout en semblant la soumettre à mon approbation. J’aime Julien car en plus d’être un garçon intelligent et sensible, il a le mérite de tenir mon avis en haute estime. Comme moi, il affectionne le mélange des genres et n’hésite jamais à convoquer un auteur classique pour expliquer une situation des plus superficielles. Il établit des parallèles entre les mondanités et ses lectures, jette des ponts entre des mondes que l’immense majorité des gens tiennent séparés, quand c’est précisément ce type d’attelages curieux qui créé les œuvres les plus passionnantes.

Sa quête de perfectionnement m’inquiète parfois. Ceci dit, elle ne le rend pas plus déséquilibré que ma quête de sens : nos santés mentales sont à peu près sauves. Au moment où je pense ceci, il me tend son biceps pour me faire constater que ses efforts en salle de gym sont payants. Il me faudrait être sacrément hypocrite pour reprocher à mes amis leurs folies quand on connaît la mienne. Je me vois mal réclamer de la normalité.

Un playboy des plages publiques approche de la Palmeraie, en repérage. Son corps luisant d’huile à bronzer ferait de lui un parfait candidat pour miss ingénue au premier rang. Ça ne rate pas : il s’arrête pour lui conter fleurette dans les règles de la jeunesse sms. « Mademoiselle, tu es vraiment trop belle pour être toute seule à la plage. » Le fait qu’il n’ait pas prononcé le mythique « mademoiselle vous êtes charmante » doit suffire à son bonheur : elle rit en se cachant la bouche comme une courtisane aux dents pourries. Curieuse influence de mœurs anciennes sur cette vilaine (personne non issue de la noblesse, j’entends).

Avoir raison est un travail à plein temps, épuisant de surcroît. Il était l’heure pour moi de rejoindre mon hôte, en espérant qu’il avait réglé ses problèmes logistiques avec la mafia commerçante locale.

19 avril 2007

17 avril 2007

J'aime bien tuer les gens. Ça me détend. Je saisis leurs visages sans expression et je les chiffonne dans mes mains délicates. Leurs têtes d'idiots s'affichent soi-disant sans le vouloir dans les pages des magazines. Sans le vouloir. C'est vrai que tu es obligé de prendre tes vacances en août à Saint-Trop' coco.

Folle vie en apparence, alors que tout n'est que faux semblant. La vie des idoles est aussi froide que le papier glacé où elle s'imprime.

Oh, ils tentent bien de prendre un briquet pour faire flamber la page ; mais qui y croirait, à ce feu de paille?

10 avril 2007

Amours passagères

Une femme peut savoir si elle plaît à un homme en observant sa façon d’éviter de la regarder. Dans un train, s’il tourne la tête vers la fenêtre opposée de sa voisine, au lieu de regarder dans la sienne, qui est aussi la plus proche, c’est louche.
S’il penche la tête dans le couloir mais sans regarder devant lui, ou par œillades discrètes, c’est suspect.

La stratégie d’évitement aboutit à une déclaration d’intentions dans des formes irréfutables. Ma voisine, justement, vient de retirer délicatement son pied de sa ballerine noire. Insoutenable torture que les orteils sortant furtivement du soulier ; les femmes ne savent-elles donc pas que c’est une déclaration de guerre ? J’admire la finesse de la cheville, transpire à la vision de la peau tendue et fine. Son sac à main est une grossière contrefaçon et elle a des catalogues de grandes surfaces étalés devant elle : derrière ses grands yeux bleus et ses cheveux encore plus clairs, ce cœur n’est pas à prendre. Elle doit être mariée, ou pas loin, à un mec qui l’ignore (comment en serait-elle amoureuse autrement ?). Je décide de ne perdre mes neurones que quelques instants de plus avec elle avant de trouver une proie mieux adaptée.

Justement, plus bas dans le couloir, une brune ébouriffée détache ses grands cheveux noirs et bouclés en lançant un regard frondeur aux alentours. Comme un galet qui ricoche puis frappe une mouette par accident, les yeux noirs fondent sur moi – par hasard, mais pas par dépit.

L’étudiant dans la rangée à ma droite est penché sur un texte du Times écrit en arial 8, un dictionnaire de poche à portée de main. Ça me déprime pour lui. Cette vision me permet de souffler un instant, car l’Espagnole m’aspire déjà. J’ai entendu sa voix à travers mes écouteurs, décelé les traces ibériques de ses syllabes hachées par les grincements du rail. Elle ressemble à une fille que je n’aime pas (physiquement, s’entend). Si elle s’approche, je lui laisserai pourtant sa chance, ne serait-ce que pour essayer de vaincre l’a priori esthétique forgé à la lumière d’un autre visage. Histoire de se laisser séduire par une fille qui ait plus qu’un prénom de différence avec mes ex, pour changer.

Le problème des jeunes filles d’aujourd’hui, c’est qu’elles connaissent Coldplay (et au mieux Radiohead), mais pas D’Angelo. Ça ne me donne pas de sujet de conversation approprié.

De toute façon, elle voyage avec ses copines, et une fille n’est jamais accessible lorsqu’elle voyage avec ses copines. Aucune fille n’est inaccessible ou intouchable, au demeurant ; il faut cependant savoir saisir le moment de disponibilité. Limitation des échecs garantie.

Donc, à moins d’un appel au viol à peine déguisé, je resterai sagement sur mon siège à regarder le pied droit de ma voisine qui continue à feindre de m’ignorer. Lâche ton mec, jolie blonde, il te trompe sûrement déjà. Tu es trop belle pour être heureuse, surtout sans moi.

Quant à l’espagnole, il fait beau et j’ai un parapluie : impossible de plaire à une fille au sang chaud avec un comportement aussi prévoyant. Encore qu’on sache trouver « mignon » tout ce que l’autre compte de défauts au début. Juste avant de réaliser que les mêmes choses sont en réalité rigoureusement insupportables.

Séduire une fille avec des regards suppose un subtil mélange entre désinvolture et intérêt. Eveiller la curiosité avec détachement, sans passer pour un psychopathe ou un mort de faim. Ai-je réellement envie d’attirer l’attention de la brûlante beauté ? Les espagnoles ne font pas de quartier ; elles peuvent aller à la corrida et réclamer la mise à mort du taureau. Elles arrachent le cœur des hommes et le dévorent à vif car rien n’est sérieux et rien n’est grave dans leur culture – donc tout l’est. Ceci leur donne une maîtrise injuste de leurs sentiments. Je déconseille à quiconque de tomber amoureux d’une amazone ibérique, et, à la limite, même aux espagnols. Personne n’est prêt à chevaucher ça. La plupart des filles qui parlent fort dans les lieux publics le font pour dissimuler (vaine tentative) leur manque de confiance. Pas elles.
Pas elle. Sa voix résonne et brise tous les tabous, son rire se déploie comme une jouissance impudique, une jouissance de femme. Alors qu’elle n’est qu’une fille. Elle ne craint pas l’attention qu’elle attire, à vrai dire, elle s’en fout. C’est ce qui la rend si dangereuse.

Les espagnoles sont du même coup celles qui tombent le plus fort, et elles n’hésiteront pas à vous la couper en cas d’infidélité. Dangereuses qu’on vous dit.

5 avril 2007