9 mars 2007

Post hoc, ergo propter hoc

Regarde moi tous ces tarés qui sortent de salle de réunion, la tête penchée sur leur portable, anxieux d'avoir raté un appel hyper important. Ils prennent des airs contrits et collent vite ce bout de plastique contre leur oreille, pour pouvoir enfin parler avec les gens qui comptent : ceux qui ne sont pas la. A les observer, on pourrait croire qu'ils sont importants, traitent d'affaires capitales ; en fait, ils décalent des réunions inutiles, commandent un repas pour le déjeuner, réservent une baby-sitter pour aller au théâtre ce soir. Leurs angoisses apparaissent comme des signes extérieurs de réussite aux yeux d'une société profondément malade. Ils se rongent les sangs pour des problèmes qu'ils estiment majeurs quand bien même ils sont fictifs. Et tu n'attends qu'une chose : les rejoindre dans leur douce illusion.

La force de persuasion de l'esprit humain est éblouissante. Les exemples abondent, et produisent deux effets : nausée face a la nullité du raisonnement des masses, et fascination morbide pour la capacité d’anéantissement inconscient du réel. Nous refusons obstinément de tirer les leçons du passé, et ce du plus idiot au plus intelligent du village planétaire.

Quelques rares esprits ont encore la force d’alerter. Une lecture, même distraite, de Jean Baudrillard, apporte l’explication de l’évolution actuelle de nos sociétés, et pourquoi cette obsession du « Bien » ne peut qu’engendrer une dérive totalitaire ou une fin chaotique de l’Occident, dont le terrorisme n’est que le signe avant-coureur.
Pour les plus paresseux, l’aphorisme de Cioran mettant en évidence la ressemblance entre la décadence romaine et nos sociétés actuelles suffira. « Les romains de la décadence n’appréciaient plus que le repos grec, otium graecum, qu'ils meprisaient auparavant. » Le philosophe nihiliste ajoute que l’analogie avec les sociétés contemporaines est telle qu’il serait indécent d’y insister. L’histoire se répète devant nous, et si la vie parait plus simple les yeux clos, le résultat n’en devient pas différent pour autant.

Enfin, un exemple futile donnera la mesure de l’ampleur du phénomène. Dans les années 1930, l’industrie musicale cria au scandale lors du développement massif du phonographe (qui signerait la fin des concerts et de la juste rémunération des artistes…). Elle hurla aussi pour protester contre l’écoute massive de la radio, une vingtaine d’années plus tard, qui se traduirait nécessairement par des baisses de ventes de disques. Quand la cassette audio a fait son apparition, les amateurs de musique du monde entier se sont fait traiter comme de vulgaires voleurs. Les statistiques ont prouvé que les jeunes qui copiaient la musique sur cassette étaient également ceux qui achetaient le plus de disques compacts. A chaque étape, l’industrie s’est réinventée, et surtout, la création musicale n’a pas cessé.
Mais pourquoi tirer les leçons de ces expériences pour comprendre la situation actuelle ? Les jeunes qui téléchargent achètent probablement 10 fois plus de disques que la moyenne nationale (1 disque par habitant par an en France), mais il est plus pratique de les accuser de tous les maux que de remettre en question la qualité des artistes dont on fait la promotion massive. Et il est bien plus confortable de tirer à boulets rouges sur les « pirates » que d’accepter un nouveau changement de l’industrie, qui implique forcement des perdants et des gagnants, mais n’est ni plus ni moins que le 4ème changement d’organisation majeur de cette industrie en un siècle.