17 mai 2007

Rencontre marchande

Elle a dans le regard la fierté teintée de mépris des filles des Balkans ; un sentiment qui transparaît quelle que soit leur occupation : passer des produits devant un faisceau laser ou diriger une équipe de 25 personnes.

Ses yeux gris s'électrisent de stries bleues comme l'eau de quelque port de pêche caché au fin fond de la Croatie. Sa main fine, aux ongles sertis de blanc arrogant, dépose la monnaie dans ma main émue. Sa peau entre en contact avec la mienne et je sens la chaleur de ses doigts tandis qu'elle s'attarde. Ma tête reste baissée sur cette rencontre pudique, trop impressionné pour la regarder dans les yeux. Je n'ose pas, et reste ainsi, interdit, détaillant les veines et les lignes creusées dans cet épiderme délicat.

Puis l'instant de grâce s'écoule et me glisse entre les doigts comme de l'eau fraîche. Je voudrais caresser ses cheveux noirs, plonger dans ses yeux, libérer ma main crispée sur le ticket de caisse pour venir effleurer la naissance de son cou, et aller encore plus loin dans le territoire défendu par son polo blanc au col baillant sagement sur sa poitrine arrogante, pour épouser le contour de ces fruits doux. Je veux voir ses lèvres s'entrouvrir et ses yeux baisser leur garde, mi-clos sous les caresses.

En évaluant mes chances je me souviens qu'aucune fille n'est inaccessible, d'autant plus s'il s'agit d'une jeune caissière de supermarché. Pourtant s'il fut une époque ou les boutiquières pouvait se laisser griser par un vernis de culture et quelques vers impromptus, celle-ci est révolue. Les échecs de l'école républicaine ont laissé des générations de jeunes filles insensibles aux charmes désuets de la courtoisie et de la séduction courtisane. Aujourd'hui, a moins d'une bac+4 blasée et blindée a qui "on ne la fait plus", personne ne comprend plus ces phrases et gestes d'un autre temps. Il vaut mieux agiter les clés du coupé-cabriolet et du loft dans les quartiers chics.

Ces filles ne délaissaient pas seulement la cour des gentilshommes, elles réclamaient de la brutalité verbale, du désintérêt affiché et une "franchise" qui impliquait principalement un abandon des formules romantiques désenchantées. J'avais souvent eu l'occasion de le constater.