17 septembre 2007

Morceaux éphémères

Elle marche dans l’écurie en passant la main dans la lumière qui semble palpable, remplie des poussières de paille flottant dans le manège. Il la regarde quelques pas en arrière, silencieusement, comme dans un temple. Elle est ici mais ailleurs, dans ce moment autant que dans le passé. Classique jusqu’aux branches de ses lunettes d’écailles noires, sa seule fantaisie vestimentaire se cache sur une étiquette aux caractères fluo et désordonnées, que l’on voit par transparence dans le col de son polo clair. Son air sévère est réservé aux inconnus, lui voit les larmes sur ses joues lorsqu’elle caresse la jument de son enfance.

Les gens qui se donnent la peine d’oublier y parviennent. Il n’est plus pour elle qu’un numéro sur une liste d’attente sans fin. Cette atmosphère diffuse une prémonition du passé. Peut-être les dimensions s’emmêlent-elles sans fin, temporalités disloquées et âmes partagées en clones parallèles. Sans doute est-ce pour cela qu’il la voit chaque jour dans d’autres femmes, encore davantage depuis leur séparation. Ses cheveux ou ses yeux ou ses seins ou ses jambes le hantent, plantées dans des dizaines de corps comme autant de virus sans vaccin. Ces bouts de peau, ces membres épars habitent les autres pendant un instant, morceaux éphémères d’absolu versés au dossier d’un procès perdu depuis sa naissance. Il reconstitue son corps en prenant les parties ressemblantes dans celles autour de lui, Sisyphe boucher et sensuel. Il veut posséder toutes celles qui lui ressemblent, pour jouir par procuration, pour souiller d’autres lèvres que les siennes, par vengeance stérile. Il refuse de connaître ces filles après être passé entre leurs draps, il refuse de tomber amoureux de vagues copies de l’Autre.

Transaction sentimentale, il marchande des souvenirs de chair dorée contre des phrases empruntées. En baisant une poupée à la fragilité feinte, il retrouve les chevilles de l’Autre. En embrassant une brune fatale au parfum ambré, il effleure la cambrure de celle qu’il a perdue. Les caresses déposées au creux de ses épaules par des mèches de cheveux clairs le font frissonner de plaisir et pleurer de désespoir. Le pathos fait baisser les yeux, devant ses pensées occupées par une Absente, les langues alentours s’engourdissent. Le silence se fait. Il s’oublie dans le corps de ces filles dispensables, il perd sa vitalité pour accélérer sa fin.