23 avril 2012

mayday

C'était le temps où l'on mettait des petites barrières entre nos courses sur le tapis roulant de la caisse au supermarché, pour éviter toute possibilité de partager, même pour un instant, un morceau d'espace avec un inconnu. 

Seule la musique parvenait encore à me donner le sourire. Et la bouffe, encore que là, ça relevait davantage de l'addiction.

Maybe I'll just get out in the shade.
Maybe I'll just egg out in the shell.

En prenant le métro je voyais de tout, mais rien qui ne me fasse envie. Elle, tiens. Parce qu'elle avait une boucle d'oreille dans le nez et un trou dans son jean délavé, il aurait fallu que je la trouve originale, "rebelle" ? Moi, tout ce que ça m'inspirait, le conformisme effarant de son style et de ses attitudes, son adhésion pathétique et sans remise en question à une pseudo contre-culture d'une uniformité presque touchante dans sa naïveté, c'était d'arrêter de vivre. Puisque rien ne semblait plus avoir de valeur, que même ceux qui pensait s'opposer ne voulait pas voir l'ironie de leur démarche (s'opposer à quelque chose, ça reste le prendre en référent, pour être original ça se pose là), autant en finir. 

Et puis évidemment il y avait le pendant de cette vérité, celui qui m'obligeait à regarder en face ma propre conformité au système établi, mon incapacité à penser en dehors, à m'en extirper. Se voir dans la glace en regardant des êtres qu'au mieux on méprise, merci bien…

Le soir, superposition des pensées, double-écriture sur la piste-mémoire. Un laser musical grave des pensées humides aussitôt épongées sur le front de la conscience. Demain, aucune trace n'en subsistera - nous serons à nouveau séparés.

Au bar, les bouteilles vides s'entassent dans des cartons éventrés par l'humidité et les jets incessants de cadavres.

Navigation difficile dans la salle à moitié vide entièrement remplie par leurs égos. 

Plus loin, attente primaire devant les commodités incommodes, répétition en longueur des vexations physiologiques ranimant d'autant plus férocement ces besoins que nous sommes venus satisfaire. 

Pourtant, au creux d'une nuit pareille à toutes les autres, moment suspendu : contact, toucher, chaleur. Eternité relative d'une étreinte amicale portant les vibrations diffuses de l'affection portée à ceux qui ne sont pas là pour la recevoir, ou à qui l'on ne peut pas avouer.

Signal de détresse, perdu dans les limbes éthyliques, il est toujours 4 heures et le rideau tombe sur nos illusions. Étincelle de lucidité vite éteinte, qui contient comme dans un big bang personnel l'intégralité de nos peines et nos joies, impossible à envisager dans leur intégralité. 

Medley de sentiments, mayday bleu.

On se conforte dans nos songes quand on peut - ils sont parfois plus cruels que la réalité dans leur façon de mettre devant nos mains tendues l'objet de notre désir pour le retirer au matin venu. Je ne peux pas croire qu'on se fasse volontairement du mal, alors quoi, ces moments volés à la réalité nous rendent-ils plus heureux, nous évitent-ils de devenir fou, ne serait-ce que pour "rendre la réalité supportable en entretenant en nous quelques folies" ? 

Toute la volonté du monde ne saurait convaincre l'autre de suivre sincèrement la notre. 

Alors l'eau salée sur nos joues.