21 juin 2006

Pari sur rien (mise en Seine)

L’avantage avec les villes polluées, c’est que personne ne se risque à étendre son linge au balcon. Ça permet d’éviter un aspect négligé des plus regrettables. Les journées taillent leur chemin au burin. C’est douloureux et tout sauf insouciant. Les heures ne coulent pas, elles avancent péniblement, comme un brise-glace sur des minutes gelées. A Paris, les avenues donnent l’impression d’être praticables, ce qui explique mes courbatures et ma démarche claudicante. Je passe mes journées à me frayer des passages entre des milliers de pantins pressés. Conséquence logique : je marche encore plus vite qu’eux pour avoir une raison apparente d’être ici.

Un rien angoissé par l’absence cruelle de justification de ma présence ici, je crains à tout moment d’être démasqué par les actifs fictifs. Moi je suis un vrai actif : la vie ne me passe pas devant sans laisser d’impressions. Je parle du sens littéral, naturellement ; les détails insignifiants me marquent et m’habitent pendant des nuits entières. Tel visage enfoui au creux d’une épaule, telle fleur accrochée au rebord d’un immeuble en rénovation. Perdu dans les temporalités vacantes d’une réflexion fertile fonctionnant aussi efficacement qu’on opérateur booléen, je n’envisage plus de retour. Cet espace clos m’a happé, refermant ses portes symboliques sur mon cœur vagabond. A mon corps défendant…

« Ne te fais pas d’illusions, elles ne se réaliseront pas ! ». Avachi contre le mur d’une grande enseigne, un corps sénile m’assène cette acerbe révélation. Je tente un instant d’éclaircir le mystère de l’apparition morbide, avant de réaliser que cet homme et moi ne sommes pas si éloignés finalement ; ou seulement de quelques années. Nous sommes séparés par une poignée de choix déterminants, par des décisions aussi dérisoires que définitives, qui nous engage sans prévenir.