11 juillet 2006

un début possible

Et je lui ai dit, oh, tu sais quoi ? j’ai vraiment pas envie de t’en parler, parce que de toute façon tu seras avec lui d’ici là, et tous tes discours ne serviront pas à grand-chose à ce moment-là, si ? et elle s’est énervée, comme elle le fait toujours quand j’ai raison, et en l’occurrence elle savait très bien que deux mois c’était long et que les occasions seraient nombreuses, fêtes, fêtes, fêtes de noël, fêtes de fin d’année, fêtes de retour, fêtes de rentrée, et toutes ces conneries, et alors je me suis dit que c’était vraiment inutile d’essayer de lui expliquer quoi que ce soit, puisque chacun devait faire ses propres erreurs pour en apprendre un peu plus, j’avais fait les miennes, je savais à quoi m’en tenir, ce qu’on pouvait raisonnablement espérer et ce qui paraissait franchement incongru.

Elle m’a dévisagé pendant un moment qui a paru durer une seconde mais qui était plus proche d’une minute, puis a ramassé ses affaires et s’en est allée. Je suis resté seul dans le salon déserté, les lumières tamisées et le vin débouché inutilement. Je ne savais pas exactement pourquoi je m’acharnais avec elle ; peut-être de la paresse, peut-être pas. Je ne la connaissais pas depuis si longtemps que cela, et à vrai dire je me foutais pas mal de ce qui pouvait se passer entre elle et son « mec » / « ex » / « je ne sais quoi ». Après avoir entendu quelque chose comme un millier de discours du type : « c’est fini mais je ne sais pas où j’en suis », je m’estimais un peu compétent en la matière, et, ma foi, celles qui ne voulaient pas de mes conseils pouvaient très bien ramasser leurs affaires et s’en aller.

Les jours s’écoulaient avec une rapidité effrayante ; j’ai repris du fromage. Alexandre m’a demandé ce qui n’allait pas : « tempus fugit ». Sourire concerné : « mais sinon, ça va ? » Je lui retournais la question, le faisait parler quelques minutes, mais il ne s’est pas laissé embarquer bien longtemps. A force de choisir des amis attentifs, je me retrouvais à raconter ma vie trois fois par jour car je ne savais pas mentir.
- Comment s’appelle-t-elle ?
- Dis-moi, Alex, comment se fait-il que dix ans après nos vingt ans nous en soyons encore là ? À discuter filles sur une terrasse de café, surtout à savoir que si quelque chose cloche c’est probablement à cause d’une femme ? Je veux dire, le cadre a changé, c’est sûr, c’est un début, on est plus à l’Up, on est au Flore, très bien, mais à part ça ? Elles ont servi à quoi ces dix années si je suis encore là, déballant mes histoires foirées ou foireuses, et toi toujours stable et heureux et épanoui ? Je ne suis pas jaloux, tu le sais, du moins pas de manière négative. Bien sûr je t’envie, mais je suis heureux pour toi. Qu’y a-t-il au juste qui ne va pas chez moi ?

En réalité je pose la question en connaissant parfaitement la réponse. Voilà pourquoi Alex baisse les yeux au moment où je lui demande. Déjà parce qu’il a une petite part de responsabilité dans cette histoire, ensuite parce que ce n’est jamais agréable de répéter cinq ans après le même prénom pour expliquer tant de déboires. Et puis, ce prénom, on en avait un peu marre en plus. On l’aurait même banni de toute conversation si ce brave Alex n’avait pas eu le bon goût d’épouser une fille ayant le même. Le monde est-il petit ou juste mal fait ?

De transitions ratées en reconversions catastrophiques, ma vie avait connu les heurts et déboires les plus classiques depuis mon « Waterloo » sentimental (ou était-ce Austerlitz, l’histoire n’est pas trop mon fort). Une de plus une de moins, aurait-on pu dire. Oui, mais précisément non. J’étais fatigué des essais condamnés d’avance avec des filles aussi effrayées que moi et décidément résolues à ne pas se donner une chance de réussir. « Sex & The City » et autres niaiseries avaient à mon sens fait d’irréparables dégâts sur toute une génération de jeunes femmes – ou plutôt de filles, je l’admets.