11 octobre 2006

Talisman

La fumée glisse vers le visage lisse. Elle pique un peu les yeux, comme dans une chanson de Dinah Washington – j’allais dire « belle chanson », quel indélicat pléonasme. Les fauteuils de velours rappellent ces théâtres où nous allons à l’occasion. J’aime toucher le tissu, sentir la chaleur des années. Je repense à cet après-midi, le parc, les enfants, le soleil. J’ai vu la lumière changer le vert en doré. Les rayons mordillaient les feuilles qui tombaient de plaisir sous la caresse inattendue. Même les cris des enfants devenaient mélodieux, c’est dire la magie du moment. Allez, accordons-leur le bénéfice du doute : peut-être deviendront-ils comme moi.

Je suis comme tout le monde : réfractaire à ce qui ne me plaît pas. Un homme peut être noir, blanc, rouge ou jaune, s’il est habillé en Agnès b. il est mon semblable. On se reconnaît. Je me moque de ses origines, très honnêtement elles ne m’intéressent pas. Si peu de gens savent parler de leur passé, tirer la quintessence d’un lieu enfoui dans les limbes de la mémoire, décrire un parfum de glace en été.

Vous me détestez et vous adorez ça. Believe me, I know the feeling.

Le ballet des serveurs en tabliers noirs se poursuit, imperturbable. Les garçons de café parisiens sont les jazzmen de la restauration : instinctifs, intuitifs, doués pour l’improvisation, et, comme tous les gens de talent (j’ai bien dit de talent, pas de génie), cyclothymiques. Souriants un jour, imbuvables le lendemain. Allons bon, tel est notre lot à tous.

Tous sauf les « génies ». Le génie ne s’accorde pas avec la méchanceté – c’est juste antinomique, la discussion n’aura pas lieu. La réciproque n’est pas toujours vraie (malheureusement) : le gentil n’est pas toujours génial, loin s’en faut.

Une ligne de contrebasse et quelques verres de crème de whisky plus tard, nous voici sous les contre-jours d’un appartement haut de plafond. J’aime. Particulièrement ces poutres, là, oui, le bois me rassure – quelle ironie.

- Champagne ?
- Aurais-tu quelque chose de plus doux ?
- Whisky ?
- Parfait.

Les conversations des bonnes âmes savent s’épargner les palabres inutiles.

- Salle de bain ?
- Cuisine.
- Chambre ?
- Bureau.
- Après vous…

Puis un matin qui enchante – remerciements à la sainte patronne D. Washington qui poursuit son inexorable entreprise d’emprise. Elle est « mad about the boy » et se répète à l’infini par les enceintes du système haute définition aux lignes épurées.

Nous partirons à l’aube croiser les chevaux dans le parc central, nous lancerons des miettes aux moineaux sur le ferry boat, nous goûterons la brise dans nos cheveux : la vie sera donc une publicité pour Hermès (le côté martial en moins).
Ou nous partirons en TGV, à la poursuite du Sud Eternel, plonger dans les étoffes vives et colorées, nager les yeux remplis d’or, à dos de mer, repas qui chantent et cigales qui dorment : la vie sera donc une publicité pour Christian Lacroix.

Une vie portée par la chaleur de l’air qui s’évade des sous-bois, par l’eau qui s’envole de partout. Un nuage qui éblouit les yeux, qui épouse les courbes, qui embaume le nez, qui caresse les mains ; de la pureté comme des éclats de chocolats.